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Joseph Samson (1888-1957)

Grammaire du chant choral, Éditions Henn, Genève, 1947

[p. 21] « La voix : "le résultat de la lutte qui s'exerce à certains points déterminés entre les organes de la parole et la poussée de l'air chassé par les poumons." » [note 1 :] Abbé Rousselot, cité par Jousse dans ses Études de Psychologie linguistique, p.14
[Rappelons qu'en 1922, Jousse a mené des recherches de phonétique expérimentale et de rythmique au laboratoire du Collège de France avec l'abbé Rousselot. Ce dernier décédera en 1924.]

[p. 114, 115, 119] « Dans l'éducation rythmique de l'enfant, l'appel à l'intelligence, à la "conscience" sera minime. La volonté jouera à peine, si ce n'est la volonté de se rendre docile, de se laisser faire, de se laisser balancer … Nous devons atteindre l'automatisme, l'autobalancement de toute la classe. Nous jouons au petit navire. Il faut que nos jeunes marins se laissent aller … Aux enfants maintenant de réciter en se balançant, de se soumettre aux impulsions rythmiques verbales … C'est le plaisir de se laisser "enrythmer" que nous devons éveiller chez nos élèves. Rien n'est fait tant que ce point n'est pas atteint. » …
« Le rythme, c'est maintenant, pour eux, quelque chose d'éprouvé, de vécu ; quelque chose dont ils ont senti, dans leur corps et dans leur esprit, l'action et le plaisir ; une réalité physique et spirituelle … À chaque mouvement du corps, dans le balancement, corrrespondait jusqu'à présent un groupe de deux ou trois syllabes ou notes ; pratiquement, les élèves ont été entraînés à concevoir le groupe comme unité rythmique fondamentale. Le moment est venu de leur faire comprendre qu'effectivement il n'y a rythme qu'à partir du moment où deux sons au moins sont associés, l'un ayant autorité sur l'autre … le premier soumet tout le groupe à sa propre impulsion, le second a un caractère consécutif, s'avère dépendant de la tête du groupe, entraîné par cette aspiration au mouvement dont elle est possédée. » [C'est nous qui soulignons.]

À l'ombre de la cathédrale enchantée, Éditions de La Tribune de Saint-Gervais, cahier n° 1, Paris, [1928]

[p. 11] « Les enfants, leurs cahiers à la main gauche, les reins bien cambrés, comme dans l'action, la tête légèrement levée, l'oeil tendu vers le maître, attendent …
… Une critique, un son, et le balancement de l'homme recommence, suivant la battue de la main, courte, sèche, rapide, précise, avec un arrêt à l'extrémité de chaque battement : le temps. »

Paul Claudel, poête-musicien, Éditions du Milieu du monde, Genève-Paris-Montréal, 1947

[p. 40, note 2] « La traduction de l'intensité par la durée répond à la nature des choses. Nos Renaissants la pratiquaient en latin. L'explosion énergétique qualifiée accent tend "à amplifier, à faire durer le geste laryngo-buccal qui prononce la syllabe intensifiée. Du rythme d'intensité résulte donc normalement un rythme de durée." » cf. Fr. Lefèvre, [Marcel Jousse :] une nouvelle psychologie du langage, coll. Le Roseau d'or, n° 20, [1925. Cahiers d'Occident, 1926.]

[Fac-similé, inséré entre les p. 80/81, d'une lettre de Paul Claudel à Joseph Samson. Les termes de l'allusion à Marcel Jousse peut laisser penser qu'elle est une réponse de Claudel à Samson qui lui aurait demandé s'il le connaissait ainsi que ses travaux.] « Je connais quelque chose des idées du P[ère] Jousse et de Pius Servien (ce dernier m'a tant soit peu plagié), mais j'avoue que je n'y ai pas trouvé grand intérêt. La théorie ou la pratique du langage, ce n'est pas la même chose ! »

[p. 85-91 : long extrait continu ! Il est présenté tel quel, sans les chevrons introductifs qui sont réservés pour les citations dans la citation pour simplifier la lecture ; les notes de bas de pages sont insérées dans le texte à l'aide de crochets.]
On voit bien maintenant pourquoi, usant des mots de tous les jours, Claudel tend à leur conférer plénitude et originalité de sens. II veut leur restituer tout leur pouvoir, toute leur valeur. De là, pour lui, l'importance primordiale du sens étymologique. La racine, Jousse l'a établi, n'est pas autre chose que la transposition sonore directe du geste spontané qui, avant le mot, exprime l'objet. Elle subsiste dans notre langue évoluée, comme témoin de la mutation primitive ; par elle, le mot reste un geste, un geste laryngo-buccal, le geste de l'objet lui-même transféré dans un milieu verbalisant.

« Il n'y a aucun rapport, objecte M. Paul Valéry, entre le son et le sens d'un mot. La même chose s'appelle horse en anglais, ippos en grec, equus en latin, cheval en français. » [P. Valéry, Variété V, p. 154.]

Objection spécieuse. La taille, la musculature, le comportement naturel permettent à l'observateur le moins perspicace de distinguer un Latin d'un Saxon. Les mots qu'ils prononcent, évolués d'un langage primitif, accusent d'analogues distinctions. Ces distinctions, souvent, ne font qu'attester des réactions diverses sur une racine unique. La diversité des réactions est conditionnée par des causes multiples telles que climat ou genre de vie, mode d'activité psycho-physiologique ou conformation des organes de perception et des muscles de phonation. Les brassages successifs des peuples ont achevé d'embrouiller les choses et présentent aux philologues des problèmes inextricables. II n'en reste pas moins que des mots tout différents peuvent avoir une origine commune. C'est le cas, si nous en croyons un ami, musicien et philologue, M. M. Lefèvre, de ceux que cite Valéry :

« Horse, ippos et equus, nous écrit-il, ont la même origine. On sait en effet que la racine Kw, de l'indo-européen, subit des traitements différents suivant les langues où elle se trouve introduite. Ainsi, en grec, Kw devient, selon les cas, KK ou nn ; au contraire, en sanscrit, Kw tend à se palatiser en ç d'où le sanscrit açvas. Ekw donne en grec hippos (certains dialectes : hikkos). En latin le w devient u sans valeur vocalique. Cet u ne joue pas non plus le rôle de consonne puisqu'il ne fait pas position en scansion : en effet il faut lire equus et non pas equus. Quant à l'anglais horse, il a la même étymologie. En anglo-saxon ou en vieux saxon, la gutturale tend à s'aspirer : caput donne en allemand haupt, cornu donne horn ; equus donne en vieux saxon ehu, en anglo-saxon eoh. Tous les spécialistes de philologie saxonne donnent equus comme étymologie de horse. Le français n'a plus de mots correspondants à equus pour dire cheval. Mais l'ancien français avait ive ou yve qui vient de equa (jument) :

À la tierce nuit sanz mentir
La fit a une yve gésir.

[Le Roman de Perceval.]

Quant à cheval, il n'entre pas en ligne de compte, puisque c'est un mot de formation récente qui vient de l'argot caballus.

Bref, l'état le plus ancien connu de ce mot est le sanscrit açvas. Mais le sanscrit est une langue évoluée qui n'a rien de ce qu'on peut appeler une langue primitive. De açvas au cri poussé par le premier homme devant le cheval, il y a des millénaires de transformations phonétiques —Entre açvas et horse ou ive, il n'y a que trois mille ans !— Quand on parle alors de l'origine des langues et de la façon dont le mot, par le son exprimait le sens, on risque bien de ne jamais être contredit par les documents. »

Quel dommage qu'Adam et Eve n'aient pas songé à se faire enregistrer ! Nous aurions des documents. Mais Chesterton et Péguy ont rendu à ce genre d'argument l'hommage qui lui est dû. À défaut de documents, serait-il interdit de regarder comme vraisemblable ce que le bon sens et l'expérience suggèrent ? Quelles découvertes philologiques récentes nous empêcheraient de souscrire encore à ces propositions de Dante : « Une certaine forme de parler a été créée par Dieu en même temps que l'âme, forme par rapport aux mots et aux constructions des phrases. Et c'est là le langage naturel que parla pendant longtemps l'humanité. Ensuite se sont formées les langues particulières, mais toutes conservent une parenté naturelle avec le caractère, les moeurs, l'âme du peuple qui s'en sert. » [Dante, De vulgari eloquentia.]

Pas davantage, nous ne voyons ce qui nous obligerait à récuser cette affirmation de l'Écriture : « Dieu qui avait formé du sol tous les animaux et tous les oiseaux du ciel les fit venir vers l'homme pour que tout être vivant portât le nom qu'il lui donnerait. » [Genèse, II, 19.] En attribuant à l'homme, fonction de nominateur, Dieu pouvait-il ne le point investir des aptitudes nécessaires à l'exercice de cette fonction ? Quand Dante nous dit que Dieu a créé une certaine forme de parler, il faut entendre évidemment qu'il a donné à l'homme le pouvoir de reconnaître dans la créature ce qui la fait être ce qu'elle est, ce qui la spécifie, et d'exprimer par des signes (gestes ou mots) cette connaissance. Mis en présence d'êtres à leurs yeux nouveaux, les premiers hommes subissent attraction ou répulsion. Le mouvement propre dont ils sont animés trahit alors, par une réaction spontanée —gestuelle d'abord, pense-t-on généralement, vocale plus tard—, l'action de l'objet sur eux. D'où, de l'objet au geste, relation rythmique ; de l'objet au mot, relation rythmique et sonore. La racine mérite bien son nom : elle est l'acte de l'homme mû par l'objet ; elle est l'objet lui-même transplanté d'un milieu dans un autre, l'objet devenu son, habileté à proliférer en autant de mots —divers quant à la diffusion, uns quant à l'origine— que le voudront les circonstances ; elle est ce par quoi le mot —quelle que soit la figure que des contingences diverses aient pu lui imprimer— reste inséré dans le concret dont il émane.

Tels que nous les parlons, les mots, bien souvent, ont laissé détendre cette relation initiale ; mais comment pourrions-nous ne pas voir en eux les témoins d'un passé où rythme, son et sens étaient en rapport intime ? Si la solidarité du son et du sens est devenue pour nous, en bien des cas, mystérieuse, c'est que nous ne forgeons plus les mots, comme durent le faire les premiers hommes, au contact des choses ou des êtres, nous les apprenons en tant que mots ; le verbalisme nous masque la valeur concrète de notre mode d'expression. De plus, transformés par des millénaires d'usage, les mots ont perdu, en partie du moins, ce qui constituait en eux le caractère d'expression spontanée. Mais il n'en est pas moins admissible que le son et le sens, par des liens cachés que les poètes pressentent, restent intimement joints comme la cause l'est à l'effet. P. Valéry d'ailleurs, dans le même ouvrage [Variété V, p. 178.], ne parle-t-il pas « d'une alliance intime du son et du sens, qui est la caractéristique essentielle de l'expression poétique » ? Il ne nous échappe pas que Valéry vise alors un autre ordre de faits. Mais le vers n'en reste pas moins un assemblage de mots. Et l'alliance du son au sens n'est réalisable que si les mots s'y prêtent. Il faut donc bien admettre que ses antennes permettent au poète d'appréhender dans le mot, sous son sens usuel, un élément qui échappe à la lentille du philologue. Comment n'être pas tenté de penser qu'il s'agit là précisément de cet élément par lequel le mot rend témoignage de sa naissance ?

« Aucune opération, poursuit Valéry, sur aucun de ces termes ne me donnera l'idée de l'animal en question. ». D'accord. Mais là n'est pas le problème. Il ne s'agit pas de retrouver l'idée de l'objet sous le terme qui le désigne, mais de savoir si l'objet a provoqué le geste laryngo-buccal par lequel il est représenté. À cela, M. Adolphe V. Thomas, dans la Revue d'Anthropologie (oct.-déc. 1941), répond de la façon la plus pertinente : « Si nous ne pouvons pas toujours, aujourd'hui, retrouver le jeu du phonomimisme sous toutes les racines de nos langues, c'est que ces racines ont été algébrosées au cours des temps par des déformations successives et fatales portant sur l'articulation et sur la sémantique, et le plus souvent sur l'une et sur l'autre (p. 29) … Il est certain que les racines indo-européennes, sémitiques ou chinoises avaient toutes des significations concrètes, et qu'elles ne sont que la transposition sonore des antiques gestes cinémimiques. » (p. 10).

Comme le mot n'est que l'objet lui-même transposant dans l'ordre laryngo-buccal son geste essentiel, la phrase n'est que la transposition d'un conglomérat d'objets étroitement solidaires. Le rapport de ces objets, sur le plan de l'existence, se traduit par un perpétuel échange rythmique ; sur le plan verbal, l'un à l'autre agrégés, ils ne cessent de communier : comme chacun d'eux, grammaticalement, implique les autres, rythmiquement ils forment un ensemble indissoluble. La phrase est un complexe de gestes élémentaires qui constituent un geste solidarisé.

C'est sur une telle conception des faits qui caractérisent la relation des choses et du langage que repose l'art claudélien. Frédéric Lefèvre [cf. Une nouvelle psychologie du langage, p. 42] regrette que Claudel n'ait pas imaginé une typographie où s'accuse visiblement ce qu'il appelle, après Jousse, les balancements parallèIes. Tentant de rendre manifestes ces balancements dans la poésie claudélienne, il obtient des « schèmes rythmiques » comme les suivants :

Pour toi, Mnémosyne, ces premiers vers
et la déflagration de l'Ode soudaine …
Quand Il composait l'Univers
quand Il disposait avec beauté le jeu
quand Il déclanchait l'énorme cérémonie …

(1)
« C'est le jour même de ma conversion, 25 décembre 1886, que je la rencontrai (la Sagesse). Ce jour-là, pour ne plus la refermer, j'ouvris la Bible à deux endroits : le premier, c'était la rencontre d'Emmaüs. Le second c'était le chapitre VIII des Proverbes. Et mes premiers drames, Tête d'or et La Ville portent le reflet de cette lumière. »
Lettre de P. Claudel à l'auteur de cet ouvrage, 9 juin 1944.
(2)
La tendance à réitérer une pensée, une image, une forme, répond à un besoin instinctif. Parallélisme, allitérations, assonances satisfont à cet instinct. Il n'est donc pas étonnant que Claudel qui veut restituer à la poésie des moeurs naturelles, accorde à ces jeux une part qu'il juge légitime. On pourrait, par cet argument, essayer de défendre la rime, cf. p. 97. note 1.

Cette « mise au carreau » ne nous semble pas nécessaire pour qu'en la lyrique claudélienne apparaissent les balancements. Mais, en les rendant évidents, elle présente un intérêt didactique. Elle atteste que l'art claudélien, loin d'être la révolution que d'aucuns y veulent voir, doit être regardé comme un retour à de vieilles traditions longtemps méconnues chez nous, à des traditions conformes à la nature même des choses. En effet, se refusant à ces jeux esthétiques où la convention détient une place majeure, Claudel prétend restaurer l'expression spontanée.

Grand lecteur de la Bible depuis le jour de sa conversion (1), conquis par cette poésie naïve, familière, réaliste, par ce trésor d'images vivantes, comment eût-il échappé à la tentation de voir entre les pensées, les sentiments qui s'y expriment et la forme qu'ils revêtent une relation ? Ce qui subsiste de cette forme à travers les traductions est suffisamment suggestif pour frapper l'imagination. Si les ressources intimes dc cette prosodie, dans la mesure où elles sont conditionnées par les moeurs propres de la langue, nous échappent, du moins certains des moyens matériels d'expression nous sont-ils accessibles. Le plus évident, pour un homme de formation gréco-latine, est l'incessant recours au parallélisme si sensible dans les livres où s'est élaborée la littérature de la Sagesse. La règle du jeu est que le rythme de la phrase soit conditionné par le sens : une même pensée est réitérée en deux ou trois stiques (=vers) consécutifs ; ou bien des pensées contradictoires y sont opposées ; ou bien enfin le second membre achève le premier. C'est là ce que les spécialistes appellent parallélismes (2) de synonymie, d'antithèse, de synthèse. La lyrique claudélienne vit de ces procédés ; elle y trouve les formes les mieux appropriées à ses besoins spécifiques d'expression. Un recours aux exemples s'impose.

Parallélisme de synonymie :

Quand Israël sortit d'Égypte,
Quand la maison de Jacob s'éloigna d'un peuple barbare,
Juda devint son sanctuaire
Israël son domaine.

Ps. CXIV, I, 2.Babebibobu

Car aujourd'hui un petit enfant nous est né,
un tout petit nous a été donné,
une fleur de la racine de Jesse …
Il commence sur la terre par un cri,
il commence dans le ciel par un chant.

Corona benignitatis anni Dei, p. 191-194.

Parallélisme antithétique :

La lumière du juste brille joyeusement
Mais la lampe du méchant s'éteint.

Proverbes, XII, 9.

La pluie peu à peu devient de la neige
La boue peu à peu devient de l'or.

Cent phrases pour éventails.

Parallélisme synthétique :

Une gouttière continue dans un jour de pluie
et une femme querelleuse se ressemblent.
Celui qui la retient, retient le vent,
et sa main saisit de l'huile.

Proverbes, XXVI, 15-16.

Vous paraissez et il n'y a plus que Vous du Levant jusqu'à l'Occident !
Vous touchez les montagnes et elles fument dans le soleil levant !
Vous foulez vos ennemis en triomphe sous le vol de votre quadrige !

Corona benignitatis anni Dei, p. 47.

[p. 95] « C'est avec cet instrument que le jeune Claudel, le jour de sa conversion, le 25 décembre 1886, prendra contact : " Dès le soir même de ce mémorable jour à Notre-Dame, après que je fus rentré chez moi par les rues pluvieuses, qui me semblaient maintenant si étranges, j'avais pris une bible protestante qu'une amie allemande avait donnée autrefois à ma soeur Camille … " [Contacts et circonstances, p. 13.] Et ce livre, la Bible, il va désormais le pratiquer quotidiennement. Quels sont vos livres de chevet, lui demande un jour Fr. Lefèvre ? — Je ne lis guère d'une manière constante que la Bible.

 

Maurice Martenot (1898-1980)

Principes fondamentaux d'éducation musicale etleur application, Éditions Magnard, Paris, 1970


[p. 37] « Donner à chacun l'élan vital lui permettant d'atteindre à son plus bel épanouissement humain par la spontanéité jaillissante. »(Marcel Jousse)

[p. 55] « On doit apprendre à écouter le silence des choses. »(Marcel Jousse)

 

César Geoffray (1901-1972)

 

 

 

 

Marie-Louise Aucher (1908-1994)

 

 

 

 

Joseph Gélineau (1920-?)

 

 

Marinette Aristow-Journoud

Le geste et le rythme, rondes et jeux dansés, cahiers de pédagogie moderne, Bourrelier-Colin, Paris, 6me éd., 1974.


La première édition est de 1965.

[p.130. Dans les Sources bibliographiques]
Marcel Jousse, directeur du laboratoire de rythmo-pédagogie de Paris, professeur d'anthropologie linguistique à l'École d'anthropologie :
Cours sur : La Psychologie du Geste et du Rythme, en Sorbonne, années 1935 à 1939. [Note :] « Ces cours n'ont pas été retranscrits littéralement ; nos citations ne sont donc que des relevés de note. Néanmoins, la pensée si claire et si précise du professeur a toujours été respectée. »
Marcel Jousse, Mémoires scientifiques. Travaux du laboratoire de rythmo-pédagogie de Paris, librairie Paul Geuthner.

[p.7. Remerciements dans l'avant-propos]
« … Grâce à Melle Talansier, j'ai pu suivre, pendant des années, les cours de rythmo-pédagogie du grand anthropologiste Marcel Jousse, dont le génie a ouvert la voie à tant de professeurs, dans les domaines les plus divers et les plus vastes. Je m'appuie sur les principes de base pour tout ce qui est geste et rythme. »

[P. 9.] « Qu'est-ce donc que le rythme ? " Dans la matière vivante, le rythme est le retour d'un même phénomène physiologique à des intervalles biologiquement équivalents. Régularisé, il devient le mètre. "(Marcel Jousse) [⇒ M. J.]

[P. 11.] " Pour être éducatif, un sujet enseigné doit s'adresser à l'être tout entier. " (M. J.)

[P. 15.] " Le langage est l'expression humaine. Il est aussi bien corporel qu'articulé. " (M. J.)

[P. 23.] " Toute langue a son chant, avec différents mécanismes, mélodie qui tient au climat, aux interférences de civilisations et de langues. " (M. J.)

[P. 28.] " Le rythme a une très grande importance pour la mémoire. Le langage oral contient forcément le rythme. " (M. J.)
" La phrase proverbiale, le plus beau style. " (M. J.)
" On ne peut guère changer la stucture des proverbes. Elle est extraordinairement simple. C'est cela que l'enfant devrait mémoriser comme son premier alphabet. " (M. J.)

[P. 31.] « L'enfant qui vient d'entrer dans la vie avec son premier cri est bercé par sa mère, et cela dans toutes les civilisations.
La berceuse correspond à une grande loi fondamentale le bilatéralisme.Troubadour
Physiologiquement parlant, en effet, il y a un homme droit et un homme gauche. Nous devons ajouter avec l'Anthropologie du Geste qu'il y a un homme avant et un homme arrière. Que de fois les mères, en berçant leur petit enfant dans leurs bras pour l'endormir, nous ont donné, de ce double bilatéralisme gestuel d'avant en arrière et de droite à gauche, un exemple d'autant plus saisissant qu'il était parfaitement inçonscient. " (M. J.)
Ce bilatéralisme, que l'on peut appeler symétrie ou équilibre des formes, va jouer dans tous nos moyens d'expression un rôle très important : langage rythmé (versification), sculpture, peinture, musique, etc.
Les peuples de civilisation orale ont employé ce bilatéralisme gestuel d'avant-arrière pour mémoriser les textes fondamentaux de leur civilisation (Nouveau Testament — Grande épopée finlandaise du Kalévala — Chansons de gestes, etc.). Instinctivement, les enfants se servent de ce facteur de mémoire pour apprendre leurs leçons (table de multiplication, par exemple …).
Le petit enfant, qui est régi par cette loi, va s'exprimer oralement dès qu'il commence à balbutier, par des syllabes redoublées. " Le gazouillis de l'enfant " est une mélodie qui commence. La loi du parallélisme joue dès les premiers mots du petit : pa-pa, da-da, ding-ding. » (M.J.)
Les jeux de nourrices (par exemple les sauts sur les genoux) continuent à donner à l'enfant une expression rythmée et balancée qui préparera l'équilibre de sa marche.
Nous allons retrouver ce bilatéralisme dans nos rondes et jeux dansés et plus tard dans nos chansons et nos danses folkloriques. »

[P. 32.] " Le vrai rythme vivant est celui que nous avons pris dans le jeu de notre enfance. La pensée de l'enfant ne demande qu'à s'épanouir sous ces formes rythmiques qui sont la gloire de la nature humaine. Basons sur le rythme du langage toute initiation à la musique qui, historiquement, en est jaillie. C'est du tréfonds même d'une langue que jaillit originellement la mélodie. " (M.J.)
« Pour nous en convaincre, nous pouvons essayer de traduire les paroles d'un jeu d'enfant d'un pays étranger et nous saurons alors quelles difficultés nous avons à vaincre. Le résultat n'est d'ailleurs jamais très satisfaisant, à cause de quatre rythmes naturels différents :
- intensité (pulsation de l'énergie nerveuse) ;
- durée (épanouissement du geste) ;
- timbre (qui coincide avec notre sensation de durée, mais la différence est dans la position des organes laryngo-buccaux). Ces différences de timbres sont sensibles chez certains peuples d'Afrique Noire ;
- hauteur (si sensible chez les Chinois). Nous trouvons des rythmes de hauteur dans nos jeux d'enfants :

Loup y es-tu ? Entends-tu ? Que fais-tu ?

Ces données sont essentielles si nous voulons comprendre la construction des mélodies populaires, au moins celles de notre civilisation, et si nous voulons donner à l'enfant une base stable et solide de cette civilisation. Plus tard, quand il aura en lui ces éléments de base, l'enfant sera apte à saisir et enregistrer d'autres façons de s'exprimer. Ne faisons pas de nos enfants des singes savants, essayons plutôt d'en faire des enfants normaux et, plus tard, des adultes équilibrés.
Évitons donc, le plus longtemps possible, tous les heurts de la vie actuelle pour eux : bousculade incessante, etc. " Vous n'êtes pas faits pour être heurtés. pour avoir des secousses. Vous êtes faits pour l'équilibre, le balancement. " (M. J.)
Les rythmes de nos rondes et jeux dansés sont, avant tout, des rythmes français et européens qui correspondent à notre façon de vivre et s'harmonisent avec les besoins réels des enfants. Tous les rythmes que l'on propose aux jeunes actuellement, rythmes hachés, excitants et volontairement haletants, ne sont pas des rythmes propres à développer et à équilibrer de jeunes organismes si sensibles à cette excitation nuisible et anormale. Il faut, plus que jamais, choisir, et savoir pourquoi ce choix est essentiel.
Les mélodies de nos rondes et jeux, souvent simples mélopées pour les plus petits, sont pour tous les enfants faciles à apprendre et à répéter. Nous constatons d'ailleurs que ceux-ci reprennent spontanément certaines comptines et certaines rondes qui se passent ainsi de génération en génération sans que les adultes aient besoin d'intervenir. Nous avons constaté aussi que des enfants, auxquels les adultes ont appris des rondes et des jeux, les ont rejoués spontanément dans la cour de l'école, même s'il s'agit de grands de 8 à 10 ans.
L'évolution actuelle des grandes villes fait perdre bien souvent la continuité de cette tradition qui se passe d'enfants à enfants. À nous d'avoir le souci éducatif de leur redonner ces rythmes simples.
Cultiver ces rythmes, reprendre ces rondes et ces jeux et en faire des jeux privilégiés, pour qu'ils soient exécutés d'une façon àussi parfaite que possible, c'est cultiver réellement le rythme chez l'enfant. Là encore, nous le savons bien, et ce sera toujours le grand défaut du livre (qui ne peut en aucun cas remplacer un enseignement vivant avec le contact humain du professeur), il faut entrer dans le jeu, c'est-à-dire sentir la mélodie avec son rythme vivant et non pas la chanter d'une façon plate et insipide. Toute la valeur réelle de ces rondes et. de ces jeux dansés est inexorablement détruite par un mauvais enseignement, nous ne le répéterons jamais trop. »

[p. 34] " Nos paroles sont souffle et sont vie, donc elles sont harmonieuses. " (M. J.)

[p. 73] « Le bébé semble ignorer sa main pendant plusieurs semaines. Quand il la découvre, il parait en user comme d'un objet extérieur à lui. Il joue avec et, tout de suite, son jeu a un certain rythme : c'est ce jeu de marionnettes dont nous avons parlé et que trouvent spontanément même les bébés abandonnés à eux-mêmes.
Plus tard et petit à petit, le bébé commence à utiliser sa main pour essayer de saisir les objets. Dès qu'il sait prendre un objet, son acte de préhension devient un jeu et un jeu rythmé ; ainsi le petit prend et lâche un objet, prend et jette cet objet. Ses essais demeurent très longtemps extrêmement maladroits.
" La science est une longue répétition des mêmes choses. Chez l'enfant, c'est toujours cela : répéter, répéter, répéter. " (M. J.)
Par les exercices et les jeux d'adresse, nous essaierons d'amener l'enfant à plus de finesse et de précision dans ses gestes. Mme Montessori nous dit : " Nous essaierons de fortifier cette main dans son action la plus essentielle et qui précède toutes les autres : la préhension. "
L'entant joue avec ses pieds, en même temps qu'avec ses mains. Nous aurons également à lui garder cette souplesse, à fortifier sa voûte plantaire, qui risque de s'affaisser si facilement dans nos villes sur les sols durs, et à lui donner une coordination et une aisance corporelle complète.
En cultivant tout spécialement l'adresse de la main, on en fait " cet outil qui permet au corps de se rendre plus fluide. " (M. J.) À ce propos, il est merveilleux de constater la souplesse des mains dans les civilisations encore spontanées chez qui l'aisance naturelle des deux mains est si parfaite. On comprend alors que les mains sont véritablement la prolongation du cerveau puisqu'elles exécutent avec une maîtrise totale tout ce que pensent les êtres qui s'en servent. Nous avons pu faire cette constatation avec des Africaines (Gabon, Dahomey, Sénégal, Congo, …). Nous sommes loin, hélas ! de cette maîtrise dans nos civilisations tellement algébrisées et nos mains nous paraissent bien peu aptes à réaliser tout ce que nous désirerions leur faire exécuter. La main est cependant l'outil le plus important et le plus spontané de l'être humain, mais nos moyens actuels sont tellement appauvris que nous semblons ignorer le rôle primordial de la main.
" La main qui manie le réel. " (M. J.)
Avant de vous donner la série des exercices et leur progression, nous pensons qu'il est important de citer ce que disait à ce sujet Melle Pledge :
Les jeux dans lesquels on lance et on attrape un objet ou dans lesquels on le propulse vers un but avec la main, le pied ou un bâton, sont parmi les plus anciens des jeux connus. Ils sont très importants pour le développement normal des enfants parce qu'ils demandent :
- de l'adresse corporelle et manuelle ;
- un coup d'oeil juste (estimation de direction et de distance) ;
- un sens du rythme (estimation de force et de vitesse).

[p. 91] " Pour équilibrer l'homme, il faut qu'il soit debout. " (M. J.)

[p. 122] " Penser que la recherche n'est jamais assise, immobile. " (M. J.)

[p. 126-128] « Nous n'insisterons pas sur ce sujet, mais il faudrait que vous sentiez que les particularités essentielles de nos traditions populaires, tout spécialement quand il s'agit de rondes et de danses, sont avant tout des différences de rythme.
C'est le Rythme, base de tout ce qui vit, qu'il faut, non pas " donner " aux enfants qui l'ont plus instinctivement que les adultes, mais " développer " et " préserver " dans la vie enfantine. D'ailleurs, l'enfant qui, d'après certaines théories, passe pendant sa croissance, par toutes les étapes de civilisation depuis le primitif jusqu'à notre évolution actuelle, est le plus proche de toutes ces traditions.
Instinctivement, il refait les gestes millénaires : tourner autour d'un poteau ou d'un arbre : " Par l'encerclement rythmique d'un objet, d'une personne ou d'une action, on en prend possession, on se l'incorpore, on lui confère une grandeur nouvelle, une portée générale. " (Curt Sachs, Histoire de ta danse).
L'enfant, dès qu'il sait marcher, fait une ronde avec joie, sentant obscurément ce besoin millénaire de tourner dans le sens solaire.
Les enfants sont les gardiens les plus sûrs de la tradition orale, la vraie tradition populaire : " La tradition est ce qui subsiste de l'expérience vécue. Le folklore, le vrai, c'est la civilisation des braves gens. " " Les petits enfants sont par nature extrêmement traditionnalistes parce qu'ils ont un besoin confus de stabilité. "(M. J.)
Nombre de jeux sont venus ainsi, par tradition orale d'enfants à enfants, jusqu'à nous; jeux vieux comme le monde dont la signification profonde est perdue. Nous savons simplement qu'ils ont eu une puissance magique, divinatoire ou astrale. Tels sont les jeux de marelles, de ficelles, d'osselets, de balles, de cordes, de billes …, dont le retour saisonnier rappelle de vieilles coutumes disparues.
Les rondes traditionnelles ont gardé aussi ces coutumes anciennes ; par exemple le baiser, qui pour l'entant n'a d'autre sens que l'amitié pour le petit camarade choisi, nous le retrouvons dans de nombreuses danses : " Le baiser a d'ailleurs joué un rôle dans la danse de toute l'Europe moderne et cette constatation ne se limite pas à la seule danse populaire. Au XVe comme au XVIe siècle, il était de bon ton de se donner un baiser avant, et un après chaque danse. " (Curt Sachs).
Curt Sachs nous dit encore : " Ce qui en Europe est mort, enseveli couche après couche dans notre sol a survécu, libéré des entraves du temps, dans d'autres civilisations … " " Entre tous les objets susceptibles d'être imités, l'animal devait être pour le danseur un modèle d'un intérêt unique. D'où la position spéciale qu'occupe la danse imitative ou animalière. "
" À la fin, la danse animalière va toucher l'enfance. Et c'est là, encore une fois, qu'elle a subsisté même en Europe et jusque de nos jours dans la ronde de la Marmotte, du Petit Lapin, du Loup et des Oies, du Chat et de la Souris. "
Nous constatons que la plupart de nos rondes les plus anciennes sont des rondes autrefois dansées par les adultes, puis tombées en désuétude parce qu'elles ont perdu leur signification primitive. Nous les retrouvons dans le domaine des enfants, beaucoup plus traditionnalistes que les adultes, qui les jouent sans en connaître le sens primitif. Par exemple, " La Marguerite ", qui fait partie de tout un cycle de rondes où il s'agissait d'enlèvements si fréquents au moyen âge et dans les siècles suivants ; " Ah mon beau chateau ", rappelle les luttes seigneuriales ; " Compagnons de la Marjolaine ", les guetteurs de nos villes moyen âgeuses ; " Enfiler l'aiguille " était joué dans le Berry pour faire pousser le chanvre ou le lin, etc.
Les jeux de balles finissant par :

Tu me feras trois tours de France
En voici un,
En voici deux,
En voici trois

sont une survivance certaine du tour de France des Compagnons.
Plus proches de nous sont des jeux dansés qui se faisaient encore au début du siècle dans les mariages. Par exemple " La Micht'en l'air " avec le " taquin " au milieu, rôle tenu par le premier garçon d'honneur.
Beaucoup de rondes étaient exécutées aussi autour de l'arbre de Mai (la joie du printemps retrouvé, du renouveau, tel " le Trimazo ", communiqué par notre collègue M. Schneider et recueilli par lui en Lorraine près de Metz. Cette ronde était exécutée, le premier mai, par les filles habillées de blanc avec des branchages verts sur la tête tombant sur les épaules et des rubans croisés devant la poitrine.
Des déformations enfantines ont donné des noms plus savoureux à certaines rondes.
Exemples :
- " Dansons la Capucine ", venue de " Dansons la Carmagnole ", ronde de la Révolution ;
- " La ronde du Muguet ", pour " la ronde des Muets " ;
- " Sainte-Maritaine ", pour " La Samaritaine ".
" Les jeux de ficelles forment l'un des rares éléments communs à un très grand nombre de populations du globe. C'est, en tout cas, probablement, l'un des plus généralement répandus. Ils forment, en effet, un des éléments qui permettront probablement de retrouver les contacts entre les populations différentes et, par conséquent, de faciliter l'étude des migrations. " (Paul-Emile Victor, Expéditions françaises au Groenland, 1934-1937).
" Ces jeux de ficelles rentrent dans la catégorie des biens que les tribus s'empruntent le plus facilement et, à l'instar des mythes, ils circulent à travers des espaces considérables. Ils ont également une valeur symbolique qu'il y aurait intérêt à examiner de près. Ce sont des figures représentant, sous une forme conventionnelle, divers objets. Ils constituent à ce titre des documents susceptibles d'illustrer la mentalité indigène aussi bien que les dessins ou les autres symboles. " (A. Métraux, Quelques jeux de ficelles de l'Amérique du Sud).
Mme Herscher-Clément, qui a étudié les danses et les jeux des Amer-Indiens de l'Amérique du Nord, nous dit, à propos des jeux de balles, si importants chez ces peuples : " Les jeux ont toujours tenu un rôle considérable dans la vie des Amer-Indiens. Ils avaient lieu à la même date et au même endroit que les fêtes religieuses, où comme dans l'antiquité classique, toutes décisions importantes étaient prises. " (notes prises au cours d'une conférence). Elle cite des jeux de balles (balle double), réservés aux femmes : jeux de guérison et d'assistance spirituelle; d'autres réservés aux hommes en l'honneur de l'oiseau tonnerre qui protège de la foudre et amène les pluies favorisant la fécondation du sol, etc.
Le professeur Marcel Jousse, à propos des langues, des rythmes et des sons, nous dit : " Chaque groupement humain indépendant des autres groupements humains a donc eu sa manière de choisir et d'entendre le son caractéristique d'un objet ou d'un geste parmi la pluralité des sons émis. La science, c'est la connaissance de l'individuel (style, rythme, propre façon de s'exprimer). "
Nous conclurons avec lui : " Ce qui fait le déséquilibre de nos danses citadines, c'est qu'elles ne s'adressent pas à l'intelligence de l'homme. Elles ne sont pas pédagogiques. Elles s'adressent à l'anthropoïde. Chez les peuples spontanés, les danses étaient proprement humaines parce qu'elles étaient leur langage. La danse est animale tant qu'elle n'est que gesticulation. "
" Plus nous mettrons dans le sujet de la connaissance et de la pensée, plus nous ferons un enseignement éducatif, en faisant respecter la tradition. Nous ferons alors de l'éducation humaine complète, en donnant au corps de la détente, des gestes traditionnels bons et par là-même un organisme mieux préparé à faire des gestes professionnels rythmiques et à être plus spontanés. "
" Nous souffrons actuellement, nous souffrons tellement, que nous allons chercher des musiques, des musiques artificielles. Ce sont des berceuses mécaniques qui jouent et non des berceuses maternelles. " (M. J.)
Pour nous, en tant qu'éducateurs, nous voulons essayer de redonner à nos enfants, à travers la richesse de nos traditions populaires, faites pour eux à leur mesure, les grandes berceuses maternelles qui leur permettront de devenir des hommes. »

 

Guy Reibel (1936)

Jeux musicaux — Vol. I : Jeux vocaux, Éditions Salabert, Paris, 1984.


[p. 19] « Tout phénomène, pour être assimilé par l'esprit et devenir le support abstrait (signe) d'une réalité (concrète) doit être vécu préalablement par le geste, qui permet d'en saisir physiquement le déroulement. Ne peuvent être réellement appréhendés que les phénomènes dont on a pu mimer le déroulement par le jeu, comme l'explique Marcel Jousse dans son Anthropologie du geste ; ainsi, l'apprentissage de la parole, qui précède l'acquisition de la langue et de l'écriture. »

[p. 20] « … il s'agit de tout autre chose : prendre un corps sonore (instrument non registré, non spécialisé pour une musique de hauteurs par exemple) ou utiliser la voix et se livrer à une activité d'invention musicale qui associe étroitement le geste à la pensée. Le geste, aussi bien que l'impulsion mentale qui le guide, est toujours inédit, personnel, et reflète la manière d'être du joueur face au monde qui l'entoure. Il mène à la découverte dans la prise de conscience de soi-même, il exprime tout un monde de formes, qui sont le reflet symbolique de notre perception de notre environnement.
La production des formes, des mouvements, cette " mise en vie " des éléments sonores que délivre le corps sonore acoustique ou électronique par le jeu créateur constitue l'autre entrée de la musique, à l'opposé des systèmes d'échelles, des quantités mesurables, que le recul du temps dans la musique traditionnelle tend à figer, " algébroser ", selon le mot de Jousse. »